D’un
point de vue purement comptable, on peut dire que la
saison cyclonique 2004-2005 a présenté une activité proche
de la normale
Pour autant, la qualifier de saison normale apparaît quelque
peu en décalage avec le vécu réel de cette saison
Ce serait, en effet, faire abstraction de l’aspect qualitatif
de son contenu et de son déroulement, dont il ressort
une impression assez différente
Si l’on devait choisir un qualificatif plus représentatif
du comportement de cette saison, on opterait plutôt pour
"bizarre"
L’étrangeté de cette saison cyclonique
provient essentiellement de la nature et du mode de genèse
des phénomènes observés durant le cœur de la saison
L’absence de développement de cyclone tropical sur
le Sud-Ouest de l’océan Indien durant tout le premier
trimestre 2005 (Canal de Mozambique mis à part) a, en
particulier, été des plus singulières
En terme d’impact sur les terres habitées, cette saison
2004-2005 a été beaucoup plus clémente que la précédente
pour les populations de la région
Si le Sud malgache a été éprouvé par les passages consécutifs
d’ERNEST et de FELAPI, le bilan humain et économique a
toutefois été sans commune mesure avec celui enduré
par la Grande Ile lors de la saison précédente
Dix-huit
systèmes dépressionnaires ont fait l’objet de l’émission
de bulletins par le CMRS de La Réunion, soit un nombre
légèrement supérieur à celui constaté lors des exercices
antérieurs
Mais les cyclogenèses ont souvent été laborieuses et
le taux de conversion en phénomènes matures a affiché
au final un rendement d’une efficacité très modérée
Dix systèmes ont tout de même
atteint le stade de tempête tropicale, soit un nombre
identique à celui de la saison précédente et en conformité
avec la normale du bassin, qui est de neuf tempêtes
Parmi ces dix tempêtes, quatre
se sont transformées en cyclone tropical, une
proportion également très proche de la normale
(en moyenne climatologique, un peu moins de la moitié
des tempêtes parvient au stade de cyclone tropical sur
le bassin)
Qui plus est, ces quatre cyclones ont été en moyenne de
forte intensité, trois d’entre eux étant classés cyclone
tropical intense, voire très intense
Ces quatre cyclones ont, en outre, eu une durée de
vie suffisante pour assurer un total de 20 jours cycloniques
(nombre de jours cumulés avec la présence d’un cyclone
tropical sur zone), soit un nombre rigoureusement égal
à la moyenne climatologique
Deux météores se sont maintenus
plus de cinq jours au stade de cyclone tropical (BENTO
et JULIET), ce qui n’était pas arrivé depuis la saison
2001-2002
Mais si l’on examine encore plus dans le détail l’activité
perturbée, il apparaît que celle-ci a en fait été globalement
inférieure à la normale, puisque l’on ne recense que
44 jours cumulés avec la présence, sur la zone du Sud-Ouest
de l’océan Indien, d’un système dépressionnaire d’intensité
au moins égale
à la tempête tropicale modérée, alors que la moyenne se
situe à 53 jours (pour une médiane de 48)
Cette relative faiblesse s’explique par le fait que les
six tempêtes n’ayant pas évolué en cyclone tropical, ont
eu un impact assez faible en terme de nombre de jours
d’activité perturbée à une intensité significative,
ne représentant que 19 jours d’activité cumulée sur les
44 cités précédemment
La répartition quelque peu inhabituelle
de l’activité cyclonique au cours de la saison a constitué
une des bizarreries de cette saison
Après un début de saison plutôt actif et précoce, la suite
de la saison a été beaucoup plus poussive
Le cyclone tropical JULIET, cyclone de forte intensité
et à la trajectoire parabolique d’école, a tout de même
cloturé en beauté la saison, cette fois-ci à
une date normale pour une fin de saison, après trois années
consécutives tardives qui s’étaient prolongées jusqu’en
mai
Pour ce qui est du début de saison, la première tempête
tropicale de la saison -AROLA- a, pour la quatrième année
consécutive, été baptisée avant le 15 novembre,
date correspondant à la date de la médiane pour ce qui
est du début de la saison cyclonique
(le premier système dépressionnaire significatif se forme
une année sur deux avant cette date)
Mais on doit faire remonter le vrai démarrage de la saison
beaucoup plus tôt, dès le 30 août, en plein hiver austral,
avec la formation du premier système dépressionnaire
sur l’extrême Est du bassin du Sud-Ouest de l’océan Indien
Cette perturbation ayant rapidement quitté la zone de
responsabilité du CMRS de La Réunion, pour la zone Sud-Est
de l’océan Indien sous responsabilité australienne,
elle a été nommée PHOEBE le 2
septembre par le Centre de Perth, devenant à l’occasion
la première -et excessivement précoce- tempête tropicale
de la nouvelle saison de l’hémisphère Sud
Dans la continuité d’un début de saison actif, deux cyclones
se sont ensuite formés avant la fin de l’année, le premier
d’entre eux se développant dès le mois de novembre
et pas n’importe quel cyclone !
Après un creusement explosif, BENTO
a atteint une intensité exceptionnelle pour un début de
saison, venant titiller le cyclone AGNIELLE pour le record
d’intensité
du bassin en novembre et devenant dans le même temps le
cyclone le plus intense jamais observé dans le Sud-Ouest
de l’océan Indien au nord du 10ème parallèle Sud (tous
mois confondus)
Après un démarrage sur des bases aussi élevées, le
cœur de la saison s’est ensuite révélé, par contraste,
anormalement improductif en systèmes matures
Aucun cyclone tropical ne s’est
en effet manifesté sur le bassin durant tout le premier
trimestre 2005, exception faite du seul ERNEST
Unique cyclone tropical référencé durant cette période,
celui-ci s’est développé dans le Canal de Mozambique,
ce qui revient à dire que la partie océan Indien proprement
dite,
est demeurée exempte de tout phénomène cyclonique caractérisé
de janvier à mars
Si un tel fait n’est pas sans précédent, il n’en constitue
pas moins une anomalie évidente, puisqu’il ne s’agit que
du quatrième événement de cette nature à survenir
sur les 40 dernières années d’observation (après les
premiers trimestres de 1974, 1983 et 1985)
Cette carence en cyclones tropicaux n’a pas été synonyme
de pénurie de systèmes dépressionnaires. Bien au contraire,
mais en lieu et place des météores classiquement observés
sur le bassin,
se sont succédé une kyrielle de phénomènes d’intensité
faible à modérée, issus de cyclogenèses particulièrement
laborieuses et intervenues, pour certaines, selon des
modes très inhabituels pour le bassin
On a ainsi vu plusieurs tempêtes tropicales se former
à partir de circulations dépressionnaires très larges
à l’origine, associées à un talweg de mousson aux caractéristiques
plus proches de ce que l’on observe habituellement dans
le Pacifique Nord- Ouest
La Zone de Convergence Intertropicale d’extension méridienne
relativement limitée que l’on observe généralement sur
le bassin a, en effet, laissé place durant de longues
semaines
à une vaste zone de basses pressions extrêmement large,
occupant quasiment tout l’espace tropical, jusqu’à des
latitudes beaucoup plus élevées qu’à l’accoutumée
Les alizés étaient dans le même temps rejetés très au
sud et très affaiblis
Il est résulté de cette situation durable, une forte anomalie
négative de pression sur la zone au sud des Mascareignes
durant les mois de février et mars (culminant à 4-5 hPa
en moyenne mensuelle)
Cet empiétement marqué des basses pressions équatoriales
sur les latitudes sud, a eu pour conséquence de faire
que les systèmes dépressionnaires formés durant cette
période
ont quasiment tous atteint leur maximum d’intensité bien
au sud du 20ème parallèle Sud, ou même du 25ème parallèle
Sud, alors que la norme du bassin situe habituellement
le maximum d’intensité de ces phénomènes au nord de 20°
Sud La tempête tropicale GERARD a constitué l’archétype
de ce type d’évolution "baroque" :
cyclogenèse peu banale à partir d’une dépression de mousson,
et maximum d’intensité atteint aux abords de 30°Sud
L’absence de cyclone tropical
durant toute cette période s’explique pour bonne part
par ce décalage marqué de l’activité perturbée vers les
latitudes septentrionales,
les systèmes dépressionnaires s’intensifiant trop au sud
pour avoir le temps d’atteindre le stade de cyclone tropical
avant d’être confrontés au courant perturbé d’ouest et
à l’accroissement
résultant du cisaillement vertical de vent
Les cyclogenèses se sont clairement
focalisées majoritairement sur l’Est du bassin
Parallèlement les trajectoires
avec recourbement (paraboliques ou pseudo-paraboliques)
ont largement dominé, les seules trajectoires
pouvant être qualifiées de zonales étant celles d’AROLA
et de DAREN
Il s’agit là de la configuration la plus favorable en
terme de réduction des risques pour les terres habitées,
concentrées elles sur l’Ouest du bassin.
De fait, peu de phénomènes ont effectivement menacé
ou influencé les différentes îles de la zone, le continent
africain étant demeuré pour sa part, comme lors de la
saison précédente,
totalement à l’écart de toute perturbation
Les Mascareignes n’ont pas subi de dommages importants,
l’île Rodrigues ayant été épargnée par JULIET
Quelques phénomènes dépressionnaires ont toutefois occasionné
des épisodes de fortes pluies, le plus conséquent ayant
affecté l’île Maurice, y causant des inondations au passage
d’HENNIE
ERNEST est passé directement sur l’île de Mayotte, mais
était alors en début de phase d’intensification, d’où
une influence modérée
Tel n’a pas été le cas pour le Sud de Madagascar, qui
a subi plus franchement l’impact du météore, dont le centre
a effleuré la côte
Vents forts et inondations causées par les fortes précipitations
associées, ont fait un nombre indéterminé de victimes
(plusieurs dizaines), de nombreux pêcheurs non informés
de l’arrivée du cyclone
ayant notamment été pris par surprise
Les conséquences du passage d’ERNEST, en particulier les
inondations, ont ensuite été aggravées par l’arrivée sur
la même zone géographique de la tempête tropicale FELAPI,
seulement quelques jours plus
tard
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